Des manifestants dans les rues de Tunis le 1er mai 2025 / AFP
Un rapport d’Amnesty International, publié le 17 juin 2025, met en lumière la répression croissante à l’encontre des militants syndicalistes et environnementaux en Tunisie. Ce document souligne un décalage alarmant entre le discours du président Kaïs Saïed, qui prétend défendre la justice économique et sociale, et la réalité vécue par ceux qui osent revendiquer leurs droits.
Un climat de peur
Le rapport d’Amnesty révèle que, entre 2020 et 2024, l’ONG a recensé neuf cas de répression et interviewé 26 personnes arrêtées, souvent sur la base de l’article 136 du Code pénal, qui sanctionne l’« entrave au travail », et de l’article 107, qui punit l’« obstacle à un service public ». La majorité des personnes concernées se sont mobilisées pour défendre des droits environnementaux, salariaux ou sociaux dans des régions comme Sfax, Siliana, Tunis et Kairouan. Seize d’entre elles ont été détenues pendant des périodes allant de trois jours à vingt mois.
Samar Shaiek, coordinatrice campagne et plaidoyer au sein d’Amnesty, souligne que près de 90 personnes font actuellement l’objet de poursuites judiciaires, ce qui contribue à un climat de peur. « Les gens ont peur d’aller manifester », déclare-t-elle, ajoutant que les médias traditionnels couvrent de moins en moins ces protestations sociales.
Mobilisation difficile
Aziz Chebbi, militant du mouvement Stop Pollution, qui lutte contre la pollution à Gabès, partage ce sentiment. Il explique que la mobilisation est devenue très difficile dans le contexte politique actuel. Les témoins de violences policières lors de manifestations hésitent à s’engager, craignant pour leur emploi et leur sécurité familiale.
Un exemple tragique de cette répression est l’arrestation de Mohamed Ali Trimi, membre de Stop Pollution, qui a été condamné à quatre mois de prison après une manifestation pacifique pour un environnement sain. Bien qu’il ait été libéré après deux semaines, il attend toujours la décision en appel de son jugement.
Répression des syndicalistes
La répression ne se limite pas aux militants environnementaux. Anis Kâabi, secrétaire général des agents de la société Tunisie Autoroutes, a été emprisonné pendant quatorze mois après avoir organisé une grève en mai 2023. Accusé d’avoir voulu causer préjudice à l’administration, il attend toujours la suite de ses poursuites judiciaires. Son cas est perçu comme un message à l’UGTT, la centrale syndicale puissante, qui a été politiquement muselée depuis le coup de force constitutionnel de Kaïs Saïed en juillet 2021.
Violations des droits et intimidation
Le rapport d’Amnesty documente également des cas de petits agriculteurs réprimés pour avoir demandé le droit à l’eau. À Bargou, des manifestants ont été arrêtés après avoir protesté contre un forage autorisé par les autorités dans une région touchée par la sécheresse. Quatre militants ont été condamnés à quatre mois de prison sans avoir été convoqués devant un tribunal, et leur peine a été réduite à une amende.
Les méthodes d’intimidation utilisées par la police pour dissuader les manifestants sont également mises en lumière. Amnesty souligne que ces violations du droit à la défense sont préoccupantes et contribuent à un climat de répression.
Appel à un dialogue ouvert
Malgré ce climat de peur, les protestations persistent. En 2024, le Forum tunisien des droits économiques et sociaux a recensé 2 639 manifestations liées à des questions d’alimentation, d’éducation, de travail et de ressources naturelles. Amnesty rappelle que le droit international oblige les États à tolérer les perturbations temporaires causées par des manifestations pacifiques.
L’ONG appelle les autorités tunisiennes à ne pas criminaliser les manifestations pacifiques, mais plutôt à créer un environnement propice à un débat ouvert sur les préoccupations socio-économiques et environnementales de la population. Amnesty a transmis ses conclusions et recommandations aux autorités tunisiennes le 5 juin, mais n’a pas reçu de réponse.
La répression des manifestants en Tunisie soulève des inquiétudes quant à l’état des droits humains dans le pays. Alors que les citoyens continuent de revendiquer leurs droits, il est crucial que les autorités respectent les libertés fondamentales et permettent un dialogue constructif sur les enjeux qui touchent la société tunisienne.
Thom Biakpa