Malgré la signature de l’accord-cadre de Doha censé ouvrir une nouvelle phase dans la résolution du conflit à l’Est de la République démocratique du Congo, la réalité du terrain montre une situation plus complexe. Le cessez-le-feu annoncé demeure précaire, les divergences persistent et plusieurs protocoles clés du processus de paix sont déjà sources d’affrontements politiques et militaires.
Un cessez-le-feu théorique, des combats bien réels
Le week-end du 15 au 16 novembre a été marqué par de nouveaux affrontements, aussi bien au Nord-Kivu qu’au Sud-Kivu. Les engagements de Doha cessation définitive des hostilités et reconnaissance du caractère non militaire d’une paix durable ne sont pas respectés.
Entre Kinshasa et l’AFC/M23, le mécanisme de surveillance du cessez-le-feu peine à fonctionner. La méfiance reste intacte, nourrie par les violations répétées sur plusieurs fronts. Le contraste entre le discours diplomatique et l’évolution militaire laisse planer le doute sur la sincérité et la durabilité des engagements pris.
L’aéroport de Goma, un enjeu stratégique et un foyer de tensions
Le protocole relatif à « l’accès humanitaire et la protection judiciaire » a rapidement révélé les divergences profondes entre les parties. L’ouverture partielle de l’aéroport de Goma, essentielle pour les opérations humanitaires, s’est transformée en un bras de fer.
Kinshasa cherche à encadrer strictement cette réouverture et a mandaté plusieurs vice-ministres pour y travailler. L’AFC/M23 rejette catégoriquement cette initiative, qualifiant la décision d’« illusoire » et d’« inacceptable ». Selon le mouvement, l’aéroport « pourra être et sera rouvert uniquement par l’AFC/M23 ».
Derrière cette position se joue une bataille d’influence : contrôle d’une infrastructure vitale, levier dans les négociations, et enjeu militaro-stratégique majeur. Le Rwanda, accusé par Kinshasa de soutenir l’AFC/M23, s’oppose également à la réouverture, dans un contexte marqué par des « attaques aériennes » récentes contre les zones tenues par la rébellion.
Restauration de l’autorité de l’État : un protocole déjà en impasse
Le protocole portant sur la « restauration de l’autorité de l’État » cristallise un autre désaccord majeur. L’AFC/M23 ne montre aucune intention de se dissoudre ou de se retirer. Au contraire, le mouvement consolide son administration et organise même des tests pour le recrutement de magistrats dans les zones qu’il contrôle.
Pour Kinshasa, il s’agit d’un acte illégitime qui remet en cause la souveraineté de l’État. Le gouvernement s’interroge également sur le sort des magistrats ainsi recrutés dans l’hypothèse d’un accord final.
La lecture du texte par l’AFC/M23 diffère nettement : selon le mouvement, l’accord n’impose pas une extension immédiate du pouvoir de Kinshasa dans les territoires contrôlés, mais évoque simplement le « rétablissement de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national ». Les visions demeurent inconciliables.
Sécurité, DDR et réforme militaire : un dossier explosif
Les discussions à venir sur les « arrangements sécuritaires intérimaires » et sur le DDR (Désarmement, Démobilisation et Réinsertion) s’annoncent particulièrement ardues.
L’AFC/M23 refuse toute réduction de ses capacités militaires et continue d’enrôler et de former des combattants. Le mouvement va même plus loin : il affirme que sa branche armée, l’ARC, est destinée à devenir la « nouvelle armée » et pourrait, selon lui, intégrer les FARDC.
Si les deux parties se sont entendues sur des mesures sécuritaires temporaires pour cinq mois, aucun détail concret n’existe sur leur application, leurs responsables, ni leurs mécanismes de suivi. Le flou entretient les inquiétudes.
Le retour des réfugiés, un autre nœud de discorde
Le protocole sur « l’identité, la citoyenneté, le retour et la réinstallation des réfugiés » ravive une revendication historique du M23. Certains retours ont déjà eu lieu sans cadre formel, ce que Kinshasa juge suspect.
Le ministre de la Communication, Patrick Muyaya, affirme que certains de ceux qui rentrent « ne sont pas identifiés comme Congolais », laissant planer des accusations d’infiltration ou de manipulation démographique.
Un processus sous tension, une médiation aux marges étroites
Face à ces multiples blocages, le médiateur qatarien, Mohammed ben Abdulaziz ben Saleh Al Khulaifi, reconnaît les limites de son rôle. Le Qatar, dit-il, n’a pas vocation à « résoudre toutes les divergences immédiatement », mais à établir un cadre permettant de traiter les questions essentielles.
Il assure toutefois que son pays « ne se désengagera pas ». Pourtant, à mesure que les désaccords s’accumulent et que les combats se poursuivent, la viabilité même du processus de Doha est mise en cause.
Un accord-cadre fragilisé avant même son application
Entre violations du cessez-le-feu, rivalités sur les infrastructures clés, désaccords sur l’autorité de l’État, incertitudes militaires et tensions sur le retour des réfugiés, le processus de paix semble s’enliser avant même d’avoir véritablement commencé.
Sans volonté politique forte, ni mécanismes clairs et acceptés par tous, l’accord de Doha risque de devenir un cadre théorique de plus, incapable de transformer une réalité de terrain dominée par la méfiance, la force armée et les agendas concurrents.
Thom Biakpa




