L’ANC a perdu son charisme en Afrique du Sud / Le Point
Les élections législatives en Afrique du Sud qui se sont déroulées le 29 mai dernier, ont livré leurs verdictes aux premières heures de ce mois de juin. Le Congrès national africain (ANC), parti au pouvoir a réalisé le score le plus bas de son histoire, depuis 1994, année de l’accession au pouvoir de feu Nelson Mandela, figure emblématique dudit parti.
L’ANC en effet, n’a récolté que 40,5% des voix au niveau national, perdant du coup, la majorité absolue au parlement sud-africain. Cette chute historique pour de nombreux analystes de la vie politique du pays arc-en-ciel, était prévisible. Déjà, lors des précédentes législatives, le parti cher à Nelson Mandela avait montré des signes de déflagration, mais s’en est sorti tout de même avec un score de 57,5% des voix.
Finalement, ce qui devait arriver, est arrivé et l’ANC aujourd’hui, n’est plus le parti politique au leadership incontesté que l’on a connu dans les années de braise en Afrique du Sud. Mais alors, qu’est-ce qui explique ce désamour entre l’ANC et les Sud-africains trente ans après l’apartheid ? Nos investigations nous ont permis de toucher quelques raisons.
Les raisons économiques
Première économie africaine, l’Afrique du Sud est tout simplement impressionnant de par ses activités diversifiées, son industrie développée et le volume de richesses qu’il est capable de créer. Toutefois, les économistes avertis relèvent la faiblesse de sa croissance toujours à la peine derrière des pays comme l’Angola, la Zambie et même le Zimbabwe avec lesquels il partage la même zone régionale, depuis plusieurs décennies. De plus, au sein du BRICS, comparativement à des nations émergentes comme la Chine ou l’Inde, il a encore du chemin à faire. A cela s’ajoutent son PIB par habitant qui a reculé de 23 % et les inégalités socio-économiques qui ont explosé.
Le pays le plus inégalitaire au monde
L’Afrique du Sud selon la Banque Mondiale, est le pays le plus inégalitaire au monde. Depuis 30 ans que l’ANC est au pouvoir, les conditions sociales de la majorité des Noirs n’ont pas beaucoup évolué. Le fossé entre les Noirs et les Blancs est particulièrement choquant sur le marché de l’emploi, miné par un taux de chômage supérieur à 30 %. Ce taux est de 40 % parmi les Noirs et 7 % seulement pour la minorité blanche. 60 % des terres sont encore cultivées par des fermiers blancs, 16 % seulement par des Noirs à l’issue de la réforme agraire qui devait rééquilibrer l’accès à la propriété des terres. Idem pour l’actionnariat des entreprises cotées. 70 % des sociétés appartiennent encore aux Blancs.
L »appauvrissement s’est davantage généralisé et le nombre de personnes dépendant de l’aide sociale a grimpé. C’est un peu plus du tiers de la population qui est concerné.
L’échec de la discrimination positive
Le « Black Economic Empowerment » ou BEE, une politique de discrimination positive en faveur de la population de couleur mise en place en 2000, n’a pas fonctionné comme prévu. Certains n’hésitent pas à parler d’un échec, d’un système déformé par l’usage. Seule une minorité noire s’est considérablement enrichie. Essentiellement, des membres de l’ANC invités à la table des dirigeants blancs. Ils ont obtenu des participations au capital des grandes entreprises, des postes de direction, et sont devenus alors les meilleurs alliés économiques de leurs ex-oppresseurs.
Le Black Economic Empowerment a plus été le terreau de la corruption que toute autre chose. Il a plus servi les causes des personnes nanties. Aussi, les défaillances du réseau électrique, dues à la corruption endémique a sérieusement plombé les activités de la compagnie nationale d’électricité. Les déboires d’Eskom, devenue incapable de fournir du courant en continu, est la plaie la plus douloureuse de l’économie sud-africaine.
La situation s’est certes améliorée depuis quelques mois, mais il est encore trop tôt pour parler d’un retour à la normale. La croissance sud-africaine sera cette année inférieure à 1 %. Selon le FMI, elle pourrait bondir à 3 ou 5 % si le courant était rétabli de de manière durable. Cette déliquescence du réseau, avec des conséquences négatives sur le transport ferroviaire, est l’un des facteurs qui poussent certains investisseurs étrangers à reporter leurs projets dans ce pays.
Toutes ces insuffisances et ces carences mises l’une dans l’autre, sont à l’origine de la déception, du dégoût et du désamour des Sud-Africains pour l’ANC. Ayant donc perdu la majorité absolue au parlement, le parti de Nelson Mandela est aujourd’hui contraint de négocier avec les autres formations politiques en vogue, pour exister. L’heure du déclin a sonné pour l’ANC en Afrique du Sud.
Thom Biakpa