Au Bénin, de nombreux descendants d’esclaves ont choisi de reconnaitre la terre de leurs aïeuls/ AP
Lorsque Nadege Anelka, une agente de voyage de 57 ans originaire de la Martinique, a posé le pied pour la première fois au Bénin, un pays d’Afrique de l’Ouest, elle a été frappée par un sentiment de familiarité. « Beaucoup de gens me rappelaient mes grands-parents, la manière dont ils portaient leur foulard, leurs manières, leur mentalité », confie-t-elle. Ce lien profond avec ses racines l’a poussée à s’installer au Bénin en juillet dernier, où elle a ouvert une agence de voyage. Nadege aspire à obtenir la citoyenneté béninoise grâce à une loi récemment adoptée, qui accorde ce droit aux personnes dont les ancêtres ont été victimes de la traite des esclaves.
Cette initiative, lancée par le président Patrice Talon, en fonction depuis 2016, s’inscrit dans un effort plus large du Bénin pour reconnaître et faire face à son rôle historique dans la traite des esclaves. La loi, adoptée en septembre, est accessible à toute personne âgée de plus de 18 ans, ne possédant pas déjà une nationalité africaine, et capable de prouver que ses ancêtres ont été déportés à travers la traite des esclaves depuis n’importe quelle région d’Afrique subsaharienne. Les autorités béninoises acceptent divers moyens de preuve, tels que des tests ADN, des témoignages authentifiés et des documents familiaux.
Nadege a utilisé « Anchoukaj » (qui signifie « Affiliation » en créole antillais), un site web reconnu par le Bénin, pour retracer son héritage et établir que ses ancêtres avaient été réduits en esclavage en Martinique. Si sa demande est acceptée, elle recevra un certificat provisoire de nationalité valable trois ans, durant lesquels elle devra séjourner au moins une fois au Bénin pour finaliser sa citoyenneté.
Le Bénin n’est pas le premier pays à offrir la citoyenneté aux descendants d’esclaves. Récemment, le Ghana a naturalisé 524 Afro-Américains, les invitant à « rentrer à la maison » dans le cadre des commémorations du 400e anniversaire de l’arrivée des premiers Africains réduits en esclavage en Amérique du Nord. Cependant, la loi béninoise revêt une importance particulière, compte tenu du rôle central du Bénin dans la traite des esclaves. Selon Ana Lucia Araujo, professeur d’histoire à l’université Howard, environ 1,5 million d’esclaves ont été déportés de la baie du Bénin, un territoire qui englobe le Bénin, le Togo et une partie du Nigeria actuels. La ville côtière de Ouidah était l’un des ports les plus actifs dans ce commerce inhumain aux XVIIIe et XIXe siècles, où près d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants ont été capturés et embarqués de force sur des navires à destination des États-Unis, du Brésil et des Caraïbes.
Le Bénin a entrepris un cheminement pour reconnaître son héritage de complicité dans la traite des esclaves. Pendant plus de deux siècles, des rois puissants ont capturé et vendu des esclaves aux marchands européens. Aujourd’hui, ces royaumes continuent d’exister sous forme de réseaux tribaux, tout comme les groupes qui ont été victimes de ces raids. Les rumeurs entourant le président Patrice Talon, qui serait un descendant de marchands d’esclaves, ont suscité de vifs débats lors de sa campagne électorale en 2016, mais il n’a jamais commenté ces allégations.
Le Bénin a ouvertement reconnu son rôle dans la traite des esclaves, une position qui contraste avec celle de nombreuses autres nations africaines impliquées. Dans les années 1990, le pays a accueilli une conférence internationale parrainée par l’UNESCO pour examiner les modalités de vente des esclaves. En 1999, le président Mathieu Kérékou s’est agenouillé dans une église de Baltimore pour présenter des excuses aux Afro-Américains pour la participation de l’Afrique à la traite des esclaves.
Parallèlement à cette prise de conscience nationale, le « tourisme de mémoire » axé sur l’héritage de la traite négrière est devenu une stratégie clé pour attirer les visiteurs étrangers. Les sites commémoratifs, principalement situés à Ouidah, incluent la « Porte du non-retour », point de départ pour de nombreux esclaves traversant l’Atlantique, ainsi qu’un musée d’histoire. L' »arbre de l’oubli » symbolise le processus par lequel les personnes réduites en esclavage étaient forcées d’oublier leur vie passée.
« Les souvenirs de la traite négrière sont présents des deux côtés de l’Atlantique, mais un seul de ces côtés est bien connu », souligne Sindé Cheketé, directeur de l’agence nationale du tourisme du Bénin. Nate Debos, un musicien américain de 37 ans vivant à la Nouvelle-Orléans, a découvert la loi sur la citoyenneté lors de sa visite au festival des masques de Porto Novo. Bien qu’il n’ait jamais mis les pieds en Afrique de l’Ouest auparavant, son intérêt pour la religion vodun l’a conduit à explorer cette culture. Président d’une association dédiée à la célébration du vodou, il voit dans cette religion un lien puissant entre l’Afrique et les Amériques.
Le vodun, qui trouve ses racines dans le royaume du Dahomey, est pratiqué par au moins un million de personnes au Bénin. Il est centré sur le culte des esprits et des ancêtres, et a été amené aux Amériques où il a évolué en vodou, un mélange avec le catholicisme. « Le vodou est l’une des chaînes qui relient l’Afrique aux Amériques », affirme le professeur Araujo. Pour les Africains asservis, il représentait un moyen de résistance face à l’oppression.
Les puissances coloniales et les propriétaires d’esclaves ont tenté d’éradiquer les pratiques culturelles et religieuses africaines, mais le vodun a survécu grâce au syncrétisme, fusionnant les divinités africaines avec des saints catholiques. « Nos ancêtres africains n’étaient pas des sauvages tribaux, ils avaient des cultures sophistiquées avec des pratiques spirituelles très nobles et belles », ajoute M. Debos. Désireux d’établir des partenariats avec des collectifs pratiquant le vodun au Bénin, il envisage de demander la nationalité béninoise, bien qu’il n’ait pas l’intention de s’y installer définitivement. « En fin de compte, je suis un Américain, même lorsque je porte les magnifiques tissus et costumes que l’on trouve au Bénin. »
Nadege Anelka, quant à elle, considère que sa quête de nationalité béninoise est avant tout symbolique. « Je sais que je ne serai jamais complètement Béninoise. Je serai toujours perçue comme une étrangère », confie-t-elle. « Mais je le fais pour mes ancêtres. C’est une manière de me réapproprier mon héritage, une façon d’obtenir réparation. »
Thom Biakpa