L’écrivain et libre penseur ivoirien, Tiburce Koffi/ wikimédia
Depuis l’étranger, l’écrivain, musicien et intellectuel ivoirien Tiburce Koffi, enseignant à la retraite et militant du RHDP, a adressé une lettre ouverte au Procureur de la République. Cette missive réagit aux déclarations de ce dernier suite à la récente marche pacifique organisée par l’opposition ivoirienne.
Dans son écriture engagée, Tiburce Koffi exprime d’abord son admiration pour le déroulement exemplaire de cette manifestation, qu’il décrit comme « gigantesque » et « pacifique ». Pour lui, cet événement révèle trois réalités : une montée du mécontentement populaire, une maturité du gouvernement qui a choisi de ne pas réprimer la marche, et une opposition qui a su agir dans le respect des normes démocratiques. Il s’agit, selon lui, d’un moment inédit dans l’histoire politique de la Côte d’Ivoire, rappelant les épisodes répressifs des années 1990 et 2000.
Tiburce Koffi met en exergue le contraste entre l’attitude actuelle du pouvoir et celle des précédents régimes. Il évoque la violente répression de la marche du Rassemblement des Républicains (RDR) en 1999, qui avait entraîné l’arrestation de plusieurs leaders de ce parti, finalement libérés à la faveur d’un coup d’État. Vingt-six ans plus tard, face à un contexte similaire, la même opposition a pu s’exprimer dans la rue sans heurts.
« C’est un véritable honneur pour le pouvoir RHDP d’avoir permis une telle marche en toute tranquillité, tout comme il est louable pour l’opposition d’en avoir respecté le cadre pacifique », écrit-il. Cette situation témoigne, selon lui, d’un progrès démocratique indéniable en Côte d’Ivoire.
Cependant, la lettre prend un tournant plus incisif lorsqu’elle aborde les récentes déclarations du Procureur, qui a annoncé son intention de poursuivre certains manifestants pour des propos jugés xénophobes, notamment l’utilisation des termes « Mossi » et « étrangers ». TiburceKoffi s’insurge contre cette réaction, la qualifiant d’« excessive » et de potentiellement dangereuse pour la cohésion sociale. Il s’interroge : « En quoi le mot Mossi est-il considéré comme une injure ? » Soulignant la richesse historique de ce peuple à travers la figure du Moro Naba, il appelle à une relecture du contexte et insiste sur la nécessité de distinguer entre injure et identité.
« Dire d’un Mossi qu’il est Mossi, c’est aussi banal que de dire d’un Baoulé qu’il est Baoulé », affirme-t-il. Il exhorte à faire preuve de bon sens, rappelant que le racisme, le tribalisme et la xénophobie proviennent, selon Senghor, de « l’ignorance et de la sottise ». Il ajoute même, provocateur : « L’imbécilité n’est pas un délit, mais une déficience intellectuelle. »
Plus largement, il met en garde contre une utilisation abusive du droit qui pourrait transformer la justice en un instrument de terreur. « La répression systémique amplifie le mécontentement populaire et engendre des révoltes », prévient-il. Il conseille au Procureur de se limiter à des avertissements, sans aller plus loin.
Pour conclure, l’écrivain exprime une ironie mordante en affirmant : « Ils ont marché ? Laissons-les marcher. Nous marcherons aussi. Tout le pays marchera. Et il paraît que marcher, c’est bon pour la santé. »
Cette lettre, sous la plume d’un écrivain engagé, se transforme en un vibrant plaidoyer pour la liberté d’expression, la tolérance et la modération dans l’exercice du droit. C’est un appel direct, mais pacifique, à un pouvoir judiciaire qui doit veiller à ne pas compromettre les avancées démocratiques par un zèle mal placé.
Thom Biakpa