En mai 2022, lors de l’ouverture de la 54è Session de la conférence des ministres africains des finances, de la planification et du développement économique (CoM2022) à Dakar, Le Président en exercice de l’Union Africaine et Président de la République du Sénégal, M. Macky Sall évoquait la nécessité de création d’une agence de notation panafricaine face « aux notations parfois très arbitraires » des grandes agences de notation internationales. Ce point avancé par le Président en exercice de l’Union Africaine, bien des agences de notations africaines l’avaient déjà fait remarquer dans le passé. La notation financière des pays africains semble ainsi être un sujet de réflexion de plus en plus préoccupant pour les financiers, économistes et dirigeants africains. Qu’est-ce donc la notation financière et quelle est son importance dans le développement des pays africains ?
Qu’est-ce que la notation financière ?
La notation financière ou (credit rating en anglais) est l’appréciation, par une agence de notation financière, du risque de solvabilité financière d’un débiteur au titre d’un instrument financier. Elle consiste à donner un avis sur la qualité de crédit que peut émettre un emprunteur qui peut être un Corporate (entreprise industrielle, entreprise commerciale), une institution financière (banque, assurance, fonds de pension etc.), un acteur public (collectivité locale) ou un Etat et dans le cas d’un Etat ou on parlera de notation souveraine.
La notation financière souveraine en contexte africain
Si la notation financière est née il y a plus de 100 ans, ce n’est qu’à partir des années 1990 qu’elle a fait son apparition sur le continent africain. L’Afrique du Sud est le premier pays à recevoir un rating de la part de l’agence S&P, suivi du Sénégal en 2000 et de deux autres poids lourds du continent à savoir le Nigeria et le Kenya. Aujourd’hui, ce sont 32 pays du continent africain qui sont notés par au moins l’un des trois leaders mondiaux de la notation financière que sont : Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch. Les professionnels financiers africains ne sont pas restés en marge de cette activité. Ainsi, des agences de notation africaines ont également été créées, et tentent tant bien que mal de se faire une place sur le marché local face à la concurrence féroce du big three. On peut citer à titre d’exemples Agusto & Co, première agence de notation africaine créée en 1992 au Nigeria, Global Credit Rating Co. agence de notation sud-africaine créée en 1996, qui revendique aujourd’hui la place de leader de la notation financière en Afrique, et Bloomfield Investment Corporation créée en 2013 en Côte d’Ivoire et principalement présente en Afrique de l’Ouest.
Rôle et enjeux de la notation financière
La notation financière détermine et facilite l’émission de dette par les entités notées sur les marchés financiers. Dès lors qu’un émetteur de crédit souhaite émettre une obligation sur le marché, la notation de la qualité de crédit de cet émetteur s’avère être indispensable, ou à tout le moins, fort utile. La notation constitue ainsi une sorte de certification, un label de qualité de plus en plus demandé, voire exigé par les investisseurs sur les marchés financiers. Sans cette certification, il est très difficile, voire impossible pour une entité de recourir à des emprunts obligataires sur les marchés financiers.
Ainsi, les rating des grandes agences de notation financière ont permis aux pays africains notés, d’avoir accès aux marchés financiers internationaux afin d’y lever de la dette pour financer le développement de leurs économies. Mais à quel coût ?
Le continent africain est aujourd’hui devenu un acteur incontournable dans le système économique et financier mondial, et les flux financiers et commerciaux en direction du continent ne font qu’augmenter. Toutefois, les notes attribuées par les grands cabinets de notation financière aux pays africains peuvent parfois laisser à désirer si bien que de plus en plus de contestations sont émises par des gouvernements africains, appuyés également par les agences de notation africaines, qui jugent les méthodes employées par les agences du Big three, inadaptées aux réalités du continent.
A l’heure actuelle, sur 32 pays africains notés par le big three, un seul pays, le Botswana, a une notation souveraine conférant à son crédit, un statut de dette peu risquée (Investment-Grade en anglais) c’est-à-dire appartenant à minima à la catégorie « qualité moyenne inférieure ». Tous les autres pays y compris l’Afrique du Sud, ou encore le Kenya ont à ce jour des notations « below-investment grade » c’est-à-dire ayant leur dette considérée comme plus risquée, appartenant tout au plus à la catégorie « spéculatif ».
Critiques
Avant 2020, la plupart des pays africains étaient déjà dans la catégorie spéculative. Avec la crise du COVID, on a assisté à une vague massive de dégradation des notations souveraines de pays africains. Cinquante-six pour cent des pays notés (18/32) ont vu leur notation être abaissée avec la pandémie, soit largement plus que la moyenne des autres continent (9% en Europe, 28% en Asie et 45% en Europe). Très récemment, en février puis juillet 2022, c’est le Ghana qui a vu sa note être dégradée respectivement par Standard & Poor’s et Fitch, dans la catégorie « haut risque, ultra spéculatif » excluant ainsi le pays des marchés financiers.
Les économistes, financiers et dirigeants africains semblent constater alors une tendance instinctive qu’ont les agence de notation financière à baisser les notations des souverains africains à la moindre alerte plus que celles des pays dans les autres régions du monde. Cela est causé, soutiennent-ils, par une surévaluation du risque du continent africain, et par des notations non pertinentes basées sur la prise en compte de plusieurs critères subjectifs et inadaptés. De plus, une étude a démontré qu’une fois revu à la baisse, il faut attendre en moyenne sept années pour qu’un pays retrouve son rating précédent, et ce, parfois au mépris de l’amélioration des conditions macro-économiques.
Impact de la notation financière en Afrique
La conséquence de ces notations parfois « arbitraires », est le renchérissement du coût de crédit pays et la limitation au financement du développement des économies africaines. En ayant leur note dans les catégories dites « spéculatives », les pays africains se trouvent obligés de supporter des primes de risques plus élevées, réclamées par les investisseurs, en compensation du risque pris par ceux-ci en investissant dans les titres de ces pays. Cela a ainsi pour effet d’augmenter le coût du crédit, c’est-à-dire les taux d’intérêt auxquels devront être remboursés les prêteurs, et de ce fait réduire la demande de crédit de la part de certains Etats qui n’arriveraient pas à supporter ces taux parfois exorbitants. D’ailleurs, un pays avec une notation jugée risquée pourrait, même s’il souhaitait contracter une dette sur les marchés, ne point trouver d’investisseurs prêts à souscrire à des titres aussi risqués.
Ainsi, avec la crise du Covid-19 ayant entraîné une vague de dégradation des notations souveraines africaines, l’on a assisté à une interruption soudaine et une fuite de capitaux du continent africain. En Afrique du Sud par exemple, les sorties nettes au titre des investissements de portefeuille en actions et obligations des non-résidents dans ce pays ont dépassé 9,7 milliards de dollars en 2020 et le taux de rendement des obligations de 10 ans est passé de 8,24% à 9,27% entre janvier et septembre 2020. Récemment, c’est le Ghana qui a subi les lourdes conséquences de la dégradation de sa note. Selon Bloomberg, au mercredi 10 août, « la prime exigée par les investisseurs pour détenir la dette ghanéenne s’élevait à 1 807 points de base par rapport aux bons du Trésor américain, selon les indices de JP Morgan Chase & Co, ce qui a pour effet d’exclure le pays des marchés financiers internationaux ».
Face à tout cela, plusieurs dirigeants africains dont M. Macky Sall, Président en exercice de l’union Africaine, sont montés au créneau pour dénoncer l’exagération des évaluations du risque d’investissement en Afrique par les agences de notation internationale, et donc la nécessité de créer une agence de notation panafricaine, c’est-à-dire une agence de notation pour tous les pays africains dont l’opinion sera reconnue à la fois par les investisseurs africains et étrangers. Cela dit, Il reste maintenant à savoir comment et quand ce projet se concrétisera.
Dans tous les cas, il s’agit bel et bien d’un projet ambitieux, qui, s’il parvenait à être concrétisé, pourrait très certainement soulager les pays africains dans le financement du développement de leurs économies.
Par Elie Kreman
Article très instructif ✨
Merci @Elie Kreman pour cette redaction ; et merci aussi à News Magazine Pro.