L’Eco annoncé à grand renfort de publicité peine à voir le jour/ photo: Getty Images
Le projet de monnaie ECO, destiné à remplacer le franc CFA en Afrique de l’Ouest, suscite des débats passionnés parmi les experts financiers, les décideurs politiques et les populations concernées. Bien que ce projet ambitieux vise à moderniser le paysage monétaire de la région, il se heurte à de nombreux défis structurels et politiques qui compliquent sa mise en œuvre. Les différences entre le franc CFA et l’ECO sont donc au cœur des discussions, mais elles restent controversées.
Le président ivoirien Alassane Ouattara a récemment réaffirmé son engagement à relancer le projet ECO. Lors d’une rencontre avec le président ghanéen Nana Akufo-Addo le 11 octobre 2024 à Abidjan, il a déclaré : « Nous travaillons pour que l’année prochaine, ou en 2026 au plus tard, les critères de convergence pour mettre en place l’ECO soient remplis. » Cette monnaie unique a pour ambition de rassembler les 15 pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), représentant environ 385 millions d’habitants. L’ECO vise à faciliter les échanges commerciaux, réduire les coûts de transaction et simplifier les paiements interrégionaux. Cependant, la réalisation de ces objectifs est compromise par des désaccords internes et une convergence économique inégale entre les États membres.
Franc CFA et ECO : Une différence réelle ou une illusion ?
Dr Jean René Ndouma, expert financier, exprime un scepticisme quant à l’impact réel de l’ECO par rapport au franc CFA. Selon lui, le projet tel que promu par Alassane Ouattara ne rompt pas véritablement avec les mécanismes de dépendance monétaire vis-à-vis de la France. « Avec un ECO ‘Ouacron’, tous les vices monétaro-financiers déjà dénoncés seront amplifiés », a-t-il déclaré. Il soutient que le président ivoirien, en proposant une alternative au franc CFA, continue de défendre les intérêts français dans la région. « M. Ouattara, par sa défense régulière des intérêts de la France dans la CEDEAO, a court-circuité le véritable projet ECO qui avait été initié depuis près d’une décennie », note l’expert.
De plus, l’analyste des questions monétaires estime que le projet proposé par Ouattara ne fera qu’accroître la pression de Paris sur l’Afrique de l’Ouest. « Avec un ECO Ouacron, qui ne saurait être une nouvelle monnaie, tous les problèmes monétaires déjà dénoncés par plusieurs économistes panafricains et étrangers seront amplifiés, renforçant ainsi l’esclavage économique de Paris sur ces pays », insiste René Ndouma. Cette vision critique est partagée par d’autres économistes qui soulignent les similarités entre le franc CFA et l’ECO proposé par l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Ils estiment que la parité fixe avec l’euro, garantie par la France, et le rôle central de Paris dans la gouvernance monétaire limitent l’indépendance promise. En ce sens, l’ECO pourrait ne pas représenter une rupture significative avec le franc CFA, mais plutôt une continuité sous un nouveau nom.
Divergences au sein de la CEDEAO
Le projet ECO, initialement conçu en 1983 et prévu pour 2027, souffre de désaccords majeurs entre les pays francophones et anglophones. Les États francophones de l’UEMOA souhaitent maintenir la stabilité monétaire par une parité fixe avec l’euro, tandis que le Nigeria et d’autres pays anglophones réclament une indépendance monétaire totale. La décision des pays de l’UEMOA de renommer unilatéralement le franc CFA en ECO a exacerbé ces tensions. Muhammadu Buhari, président du Nigeria, a critiqué cette initiative, la qualifiant de contraire aux décisions collectives de la CEDEAO et risquant de compromettre l’unité régionale.
L’introduction de l’ECO apporte des changements symboliques importants par rapport au franc CFA, tout en conservant certains éléments clés du système monétaire. Parmi les principales modifications, on note l’abandon du nom « franc CFA », jugé trop colonial, au profit de « ECO », le retrait de la France des instances de gouvernance de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la suppression de l’obligation de déposer 50 % des réserves de change auprès du Trésor français. Cependant, des aspects fondamentaux demeurent, notamment la parité fixe avec l’euro (1 euro = 655,96 ECO) et la garantie de convertibilité assurée par la France.
Deux visions concurrentes pour l’avenir monétaire
Deux visions concurrentes de l’ECO se dessinent en Afrique de l’Ouest, reflétant des approches divergentes quant à l’avenir monétaire de la région. D’une part, le projet CEDEAO (15 pays) vise une plus grande indépendance vis-à-vis de la France et envisage un système de change flexible, favorisant potentiellement l’intégration régionale et la souveraineté monétaire. D’autre part, le projet UEMOA (8 pays) maintient des liens étroits avec la France et l’arrimage à l’euro, préservant ainsi une stabilité monétaire et une inflation modérée.
En conclusion, bien que le projet ECO soit présenté comme une avancée vers une plus grande autonomie monétaire pour l’Afrique de l’Ouest, les défis structurels, les divergences politiques et les préoccupations concernant la continuité des dépendances monétaires soulèvent des questions quant à sa véritable portée. La route vers une monnaie unique véritablement indépendante semble encore semée d’embûches.
Thom Biakpa