Aujourd’hui, nous avons l’honneur de recevoir M. Nabyoullah DOSSO, le gérant de DOMNY, une entreprise qui fait des vagues dans le secteur agricole grâce à son approche axée sur l’écoresponsabilité et la création de valeur durable. Située au cœur d’Abidjan, DOMNY se distingue par son engagement à transformer les pratiques agricoles traditionnelles en introduisant des techniques innovantes et durables, tout en renforçant les capacités des acteurs locaux.
Notre invité œuvre à développer des marchés écoresponsables et à améliorer la rentabilité des activités agricoles, s’appuyant sur une équipe jeune et dynamique, composée à 50% de femmes, ce qui est particulièrement notable dans ce secteur. Au cours de cette interview, nous allons explorer le parcours qui l’a mené à la tête de DOMNY, les défis rencontrés, les succès obtenus, et surtout, les perspectives pour l’entreprise et le secteur agricole en Côte d’Ivoire.
1. Introduction et parcours personnel
Bonjour cher Emmanuel, je suis très honoré de l’opportunité que vous m’accordez de m’exprimer sur des sujets qui me passionnent à travers Hamaniè.
Je suis Nabyoullah DOSSO, Ingénieur Agribusiness diplômé de l’INP-HB. Je dispose d’une expérience avérée de 06 ans et demi au sein d’institutions nationales et internationales ainsi que dans le conseil, notamment sur des projets de développement des chaînes de valeur agricoles, de politiques publiques, ainsi que de développement marketing d’entreprises du secteur agricole en Afrique de l’Ouest.
J’ai démarré mon parcours professionnel au sein d’entreprises agricoles spécialisées en Conseil et transformation de matières premières. Ce fut tout d’abord le GROUPE AVVA, en tant que chargé d’études (business strategy et torréfaction de café) et LOCAGRI (agriculture durable et transformation de riz) en qualité de Business Developper. J’ai par la suite intégré un programme qui s’appelle 1 pour 20 ; un accord entre ONU-Environnement et la Facilitée REDD+ de l’Union Européenne, pour accompagner le Gouvernement ivoirien à mobiliser 1 milliard de dollars pour contribuer à reboiser le couvert forestier à hauteur de 20%. J’y assumais le rôle d’assistant technique, chargé de l’opérationnalisation des activités du secteur public-privé. Pendant un moment j’ai cumulé ce poste avec celui de Consultant Facilitateur de Partenariat (Légumes) au sein du programme d’incubation 2SCALE, mis en œuvre parl’International Fertilizer Development Center. La somme de ces expériences m’a motivé à créer mon entreprise (DOMNY SARL) en 2021. Et depuis l’année dernière j’interviens comme Analyste au sein de la Delivery Unit au Cabinet du Premier Ministre.
Il faut dire que j’ai toujours eu la fibre entrepreneuriale et c’est un ensemble d’éléments qui ont créé un déclic. Notamment :
1. le faible niveau d’éducation des agriculteurs (pierre angulaire de nos systèmes de production) qui ne leur permet pas d’adopter aisément de nouvelles technologies et les maintient dans la pratique d’une agriculture de subsistance sans en envisager la professionnalisation.
2. Le fort niveau d’importation pour combler les besoins alimentaires des populations (cela a couté plus de 7 milliards de dollars en 2017 à l’Afrique de l’Ouest). Et en notre sens, cet état de fait est dû au manque de données globales pour développer des stratégies rentables pour nourrir les africains et développer nos économies locales par ricochet.
A l’analyse nous n’avons pas identifié d’entreprise qui adressent ces problématiques sous notre angle. On s’est donc dit qu’on pouvait proposer quelque chose de nouveau. Et la plus-value, c’est de mettre à la disposition de nos clients des informations « inédites » pour mettre en place des stratégies adaptées à notre contexte sous-régional. Nos offres s’adaptent donc selon les cas… formation, études ou encore solutions toutes faites (comme l’outil Sεnεkelapour aider les personnes qui veulent se lancer en agribusiness à choisir le maillon qui correspond à leur profil et leur personnalité).
2. Sur l’entreprise DOMNY
DOMNY fait du Conseil Agricole ainsi que de la production maraichère. L’expertise concerne les thématiques liées à l’Agribusiness, l’AgriData, le Marketing et la Durabilité.
Déjà nous réfléchissons à l’échelle sous-régionale (espace CEDEAO). Et les problèmes qu’on adresse directement sont le capacity building des acteurs des chaines de valeurs agricoles (en priorité les agriculteurs) et la mise à disposition d’informations fiables sur les cultures stratégiques pour la sécurité alimentaire et l’économie. La finalité des solutions qu’on apporte, c’est d’atteindre la sécurité alimentaire et professionnaliser le secteur agricole.
On ne peut pas espérer être autosuffisant ou encore en situation de « sécurité alimentaire » si l’on doit s’appuyer sur des agriculteurs qui utilisent encore la daba pour labourer un hectare. Ou bien qui ne peuvent pas insérer le smart farming dans leur façon de produire etc. Cela nous a poussé à lancer AgriBootCamp, pour insuffler cet esprit entrepreneurial aux jeunes qui veulent s’engager en agribusiness.
Personnellement, j’aime sentir que mon action est utile à ma communauté. C’est un élément que j’ai transféré dans les valeurs de l’entreprise dès sa création. Notre équipe est sûre que le travail qui profite aux autres pourra aisément nous rémunérer.
3. Impact et réalisations
Depuis 2021, ce sont 29 zones qui ont été touchées par nos interventions dans l’espace CEDEAO, sur diverses thématiques liées à l’Agribusiness, au Marketing et à la Durabilité.
Je dirais que le partenariat avec la SFI (Société Financière Internationale) de la Banque Mondiale est ce dont nous sommes le plus fiers. Depuis 2 années, nous facilitons les activités terrains de techniciens dans la mise en œuvre d’activités de formation dans les chaines de valeur coton, riz et légumes.
Sur les 2 premières éditions d’AgriBootCamp, on compte 55 participants dont 04 que nous accompagnons régulièrement dans leurs activités (production de champignons, paysagisme, volailles, et management qualité). De plus, nos activités ont entre autres contribué, en lien avec SFI, à former les présidentes de coopératives agricoles de légumes dans 04 zones du pays (Abidjan, Bouaké, Daloa et Man) sur l’épargne et l’éducation financière. C’est environ 2000 femmes reparties au sein de plus de 300 coopératives.
4. Stratégies et méthodologies
Nous catégorisons les agriculteurs en 2 principaux groupes : les producteurs et les agripreneurs. Les premiers sont essentiellement sensibilisés à adopter de nouveaux outils ou bien de nouvelles technologies. C’est généralement à la faveur de partenaires privés qui nous sollicitent qu’on les approche pour aborder des thématiques comme le changement climatique ou encore l’agriculture hors sol… Les seconds, ce sont des personnes qui ont un niveau d’éducation élevé (majoritairement études supérieures). Pour ces derniers, c’est plus du sur mesure.
On a 2 outils principaux : Sεnεkela et AgribootCamp. Le premier est un double test qui utilise des questions issues d’un test de personnalité (le MBTI) combiné à une série de questions sur les connaissances de bases en Agribusiness. Les réponses fournissent des informations assez claires qui permettent de suggérer le maillon (production, transformation, etc.) qui matche le plus avec le profil du répondant. Le second c’est un camp de formation intense qui allie théorie et pratique pendant 3 jours où des experts sur divers sujets liés à l’agribusiness viennent donner les astuces nécessaires pour augmenter les chances de réussite quand on se lance dans le secteur.
Le genre est une question d’actualité et cela n’est pas fortuit. La parité de genre dans une équipe apporte diversité, perspectives variées et équité, favorisant ainsi un environnement inclusif et innovant. Pour DOMNY, cela signifie une meilleure prise de décision, une créativité accrue et une représentation équilibrée des besoins et des points de vue de nos clients et de notre marché. Cependant, on insiste sur la culture de l’excellence, car ce n’est pas suffisant d’appartenir à un genre pour avoir de l’impact dans le job qu’on fait.
5. Perspectives et futur
DOMNY vise le prix national de l’Excellence dans les 5 prochaines années pour son domaine d’activité. Notre expertise nous aide à comprendre le potentiel économique lié à tellement de cultures qu’on a décidé depuis l’année dernière de se mettre dans la production maraichère. Nous visons des parts de marché relatives de 30% et 10% à l’échelle nationale sur les 5 prochaines années pour certains légumes que nous maitrisons de bout en bout (oignon et manioc). On espère que les partenariats en construction pourront se concrétiser pour lever les fonds nécessaires, afin de tenir nos délais Inch’Allah.
C’est assez compliqué actuellement car les facteurs habilitants pour la croissance de ce secteur sont encore perfectibles. Mais nous avons un stagiaire qui effectue son projet de fin d’études sur la question. La plupart des travaux disponibles sur la question s’intéressent aux déterminants d’adoption de ces pratiques agroécologiques. Nous de notre côté, cherchons plutôt à vérifier leur rentabilité. Car en général les produits issus de ces types d’exploitations agricoles, se vendent sur des niches et ont des coûts de production plus élevés. Les conclusions du travail en cours, nous aideront à chiffrer cela avec le plus de précision possible.
Je pourrais aborder ceux qui ne sont pas frappés par des accords de confidentialité, comme le développement d’une application de gestion agricole. Elle permettra aux utilisateurs de suivre en temps réel les activités qui se font sur leurs parcelles à distance, et générera également des mini-bilans comptables, pour faciliter la traçabilité des activités et solliciter des financements sur la base des historiques par exemple.
6. Conseils et réflexions
Il faut bien se préparer, s’informer et avoir une vision claire. Idéalement, il faut se lancer en agro-industrie avec un CAPEX qui avoisine les 10 millions d’euros minimum. Je n’ai pas envie de dire même si on a 100 mille F CFA on peut se lancer. Moi, je veux rester réaliste : même si avec 100 mille F CFA, on peut faire un petit business de galettes, qui peut être à la longue va devenir une chaîne agroindustrielle de galettes. Mais au bout de combien de temps ? Donc il faut être vraiment préparé ! Se rassurer qu’on a la capacité pour être entrepreneur, trouver les ressources qu’il faut, etc.
Je trouve qu’on est encore loin de l’impact qu’on souhaite avoir. Cependant, les leçons, on en apprend tous les jours. Et la plus grande pour moi, c’est de pouvoir entraîner des personnes compétentes à épouser la vision qu’on a de l’entreprise et de les fidéliser. C’est important quand on démarre d’avoir un socle de personnes sur lesquelles s’appuyer pour poser les bases. Le luxe de se dire que « personne n’est irremplaçable » peut coûter cher au démarrage.
Audace et humilité en toute entreprise.