Au Rwanda, le paysage religieux connaît une transformation radicale. En quelques années, des milliers d’églises évangéliques ont disparu du quotidien des quartiers et des villages. Derrière ces fermetures en cascade, les autorités invoquent la nécessité de mettre de l’ordre dans un secteur longtemps laissé sans véritable encadrement.
Mais pour certains observateurs, l’enjeu dépasse largement la simple question administrative.
Depuis 2018, le gouvernement rwandais a durci les règles applicables aux lieux de culte. Les églises sont désormais soumises à des exigences strictes en matière de sécurité, de gestion financière et de formation des responsables religieux. Les pasteurs doivent notamment être titulaires d’un diplôme en théologie et prouver l’existence d’une communauté d’au moins mille fidèles — une barre jugée inaccessible pour de nombreuses petites paroisses.
À cela s’ajoutent des contrôles portant sur le respect des normes incendie et la transparence des ressources financières. Autant de critères qui ont conduit à la fermeture de nombreux lieux de prière, parfois installés de manière précaire dans des bâtiments improvisés.
Le président Paul Kagame ne cache pas sa sévérité à l’égard de certaines églises évangéliques. En novembre dernier, il dénonçait publiquement des structures qu’il qualifiait de « tanières de bandits », accusant leurs dirigeants d’exploiter la foi à des fins lucratives.
Officiellement, l’objectif affiché est clair : assainir un secteur marqué, selon les autorités, par des abus et des dérives. Toutefois, cette politique soulève des interrogations. Pour l’avocat et analyste Louis Gitinywa, la dimension religieuse masque un enjeu plus politique. Les églises évangéliques, par leur capacité de rassemblement et d’influence, constitueraient un espace potentiel de contestation dans un pays dirigé par le même pouvoir depuis plus de trois décennies.
« Après 31 ans de gouvernance, une partie de la population s’interroge sur l’alternance », souligne-t-il, estimant que le contrôle accru des lieux de culte permettrait aussi de limiter toute dynamique de mobilisation indépendante.
Selon les médias rwandais, plus de 10 000 lieux de culte auraient ainsi fermé leurs portes ces dernières années. Un chiffre qui illustre l’ampleur du bouleversement et pose une question centrale : où s’arrête la régulation nécessaire, et où commence la restriction des libertés religieuses et civiques ?
Thom Biakpa




