Une rue de Dar es Salaam en feu lors des manifestations / Afrik.com
La Tanzanie s’est réveillée jeudi matin sans connexion internet, au lendemain d’élections présidentielles et législatives entachées de violences dans plusieurs villes, notamment à Dar es Salaam, où un couvre-feu a été instauré. Des sources diplomatiques et des témoins évoquent des dizaines de morts et une répression d’ampleur contre les manifestants et les opposants au régime de la présidente sortante, Samia Suluhu Hassan, candidate à un premier mandat électif.
Une élection sous haute tension
Malgré un important dispositif sécuritaire déployé mercredi 29 octobre, des centaines de personnes, principalement de jeunes hommes, sont descendues dans les rues de la capitale économique pour dénoncer un scrutin qu’ils jugent verrouillé.
Un commissariat a été incendié et des slogans tels que « Rendez-nous notre pays ! » ont été entendus, selon un journaliste de l’AFP présent sur place.
Le gouvernement, qui n’a fait aucun commentaire officiel, a décrété un couvre-feu et suspendu l’accès à internet sur l’ensemble du territoire. Les écoles ont été fermées et les fonctionnaires sommés de travailler depuis leur domicile, selon des sources locales. Les médias nationaux, étroitement contrôlés, sont restés silencieux sur les affrontements et n’ont pas diffusé d’informations sur le dépouillement en cours.
Des bilans humains incertains
Si les chiffres restent difficiles à vérifier en raison du black-out numérique, plusieurs sources diplomatiques évoquent plus d’une trentaine de morts à Dar es Salaam et dans d’autres villes comme Songwe (Ouest) et Arusha (Nord-Est).
« C’est sans précédent », a déclaré une source étrangère à l’AFP, estimant que « l’avenir politique de la présidente semble désormais incertain ».
Samia Suluhu Hassan, d’espoir à autoritarisme
Propulsée à la tête du pays en 2021 après la mort de John Magufuli, Samia Suluhu Hassan avait initialement été saluée pour avoir assoupli certaines restrictions et rouvert le dialogue avec la société civile. Mais à l’approche du scrutin, son image s’est ternie : l’opposition et les ONG de défense des droits humains dénoncent une répression accrue, marquée par des arrestations arbitraires, des disparitions et des cas de torture.
Selon Amnesty International, la Tanzanie traverse « une vague de terreur », avec des « exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées » documentées dans les jours précédant le vote. L’organisation appelle les autorités à faire preuve de retenue et à garantir les libertés fondamentales.
Le rôle controversé du fils de la présidente
Une grande partie de la colère populaire vise Abdul Hassan, le fils de la cheffe de l’État, accusé de diriger une « force d’intervention informelle » mêlant police et services de renseignement. D’après le média Africa Intelligence, cette unité aurait multiplié les enlèvements de militants, notamment celui d’une influenceuse populaire surnommée Niffer, accusée d’avoir appelé à manifester.
Une opposition muselée
Le principal parti d’opposition, Chadema, a boycotté les élections après avoir refusé de signer un code électoral jugé injuste. Son chef, Tundu Lissu, arrêté en avril, est actuellement jugé pour trahison, une infraction passible de la peine de mort.
L’autre figure de l’opposition, Luhaga Mpina (ACT-Wazalendo), a été disqualifiée pour des raisons de procédure.
Privée d’opposants crédibles et sous haute surveillance militaire, la présidentielle tanzanienne s’est déroulée dans un climat de méfiance et de peur, tandis que les observateurs étrangers, non accrédités sur le continent, ont été cantonnés à l’archipel de Zanzibar, resté relativement calme.
Les résultats officiels du scrutin sont attendus dans les prochains jours, mais dans un pays privé de communication et où les forces de sécurité contrôlent désormais les principales villes, beaucoup redoutent que la crise politique ne s’enlise.
Thom Biakpa




