L’ex-président gambien Yahya Jammey, bientôt jugé pour crimes de guerre. AFP
Dans une décision qualifiée d‘« historique », la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a annoncé, le dimanche 15 décembre, la création d’un tribunal spécial destiné à juger les crimes commis durant la dictature de Yahya Jammeh en Gambie, qui a duré de 1994 à 2017. Ce tribunal visera à poursuivre au moins 70 personnalités, y compris l’ancien président, actuellement en exil en Guinée Équatoriale, qui pourrait être appelé à répondre d’atrocités, notamment l’exécution d’au moins 240 personnes.
Dans un communiqué émis par le ministère gambien de la Justice, le président Adama Barrow a souligné qu’il s’agit de « la première fois que la Cédéao établit un tribunal spécial pour poursuivre en justice les responsables de crimes graves commis sur le territoire d’un État membre ». Il a exprimé sa « gratitude » pour cette « décision monumentale ».
Le nouveau tribunal sera composé de juges gambiens et de magistrats provenant d’autres pays de la sous-région. Un procureur spécial, qui sera nommé dans les mois à venir, aura également la possibilité de renvoyer certaines affaires devant la justice gambienne.
Cette cour sera chargée d’examiner les nombreuses atrocités survenues en Gambie entre 1994 et 2017, notamment des exécutions sommaires, des disparitions forcées, des viols, des tortures, des détentions arbitraires, ainsi que l’administration d’un faux traitement contre le sida. Ces accusations ont été recueillies par la Commission vérité, réconciliation et réparation, mise en place en 2018.
Les recommandations de cette commission ont incité les autorités gambiennes à engager des poursuites contre 70 individus, dont Yahya Jammeh, le dictateur déchu qui a fui en Guinée Équatoriale après sa défaite électorale en 2016.
L’aspect international de ce tribunal devrait renforcer la légitimité de ses décisions, car il ne représentera pas uniquement la Gambie, mais l’ensemble de la Cédéao. Cela signifie que la région tout entière pourra peser dans les négociations pour demander à la Guinée Équatoriale d’extrader Yahya Jammeh, bien qu’aucun accord d’extradition n’existe entre les deux pays.
Reed Brody, avocat américain et membre de la Commission internationale des juristes (CIJ), a déclaré qu’il serait « difficile pour le président Obiang de Guinée Équatoriale de refuser » une demande d’extradition, compte tenu de l’autorité internationale conférée par ce tribunal. Cependant, il a également souligné que le principal défi résidera dans le financement de cette cour, qui nécessitera des dizaines de milliers de dollars pour fonctionner efficacement, alors que les victimes de l’ancien régime attendent depuis des années d’être entendues par la justice.
Actuellement, les rares procès liés aux crimes commis durant les 22 ans de règne de Yahya Jammeh se sont déroulés en dehors de la Gambie. L’ex-ministre de l’Intérieur gambien et un ancien membre d’un escadron de la mort ont été reconnus coupables de « crimes contre l’humanité » et condamnés à de lourdes peines de prison en Suisse et en Allemagne. Un procès similaire pourrait également se tenir prochainement aux États-Unis.
Cette initiative marque un tournant significatif dans la quête de justice pour les victimes de la dictature de Yahya Jammeh et pourrait ouvrir la voie à une réconciliation durable en Gambie.
Thom Biakpa